Une vie de dons et une maladie

par Alka Chevli
Mon père, Jayvadan Chevli, travaillait dur. Il a émigré au Canada il y a 49 ans dans l’espoir d’offrir une vie meilleure à sa famille. Il était débordant d’énergie, de vitalité et d’optimisme, et toujours à l’affût d’occasions pour améliorer sa propre vie et celles de son entourage.
Mon père a travaillé dur et de longues heures non seulement pour nous, mais aussi pour sa famille au loin, sa mère, son père et ses quatre frères et sœurs. Mes meilleurs souvenirs sont les plus simples, comme nos soirées en famille à écouter un film de Disney le dimanche à la télé. Il lui arrivait à l’occasion, au retour d’un long quart de travail, de revenir avec une pizza. Il réveillait alors la maisonnée pour qu’on mange ensemble. Je chérirai toujours ces souvenirs, même s’ils peuvent paraître absurdes.
Il aimait vivre toutes sortes d’expériences culturelles et manger de délicieux plats (autres que les bons repas de ma mère). Il aimait explorer, partager ce qui lui appartenait et voyager avec sa famille. Il aidait les nouveaux arrivants à Regina, leur enseignait gratuitement ce dont ils auraient besoin pour y vivre et y travailler sans rien demander en retour. Il aurait déchiré sa chemise pour aider quelqu’un dans le besoin. C’était un homme bon et généreux.
Je n’avais pas compris à quel point il aimait la danse jusqu’à ce qu’il m’amène à un concert de Chubby Checker au show lounge du Casino de Regina. Il est monté sur scène et a dansé le twist tant et si bien qu’il est presque tombé de la scène! Je garde précieusement cependant une vidéo de lui où nous dansons ensemble et que je projetterai à mon mariage, car il n’y sera pas pour me mener à l’autel et me faire danser.
Mon père travaillait pour une entreprise spécialisée en télécommunications où les câbles étaient en amiante, substance dangereuse une fois inhalée et pouvant avoir des effets sur la santé. Les mesures de sécurité étaient insuffisantes dans l’entreprise à cette époque. Les employés risquaient chaque jour leur vie, la direction ne sachant pas les risques et les effets dévastateurs qu’aurait l’amiante sur sa vie 40 ans plus tard.
Mon père a reçu un diagnostic de cancer terminal du poumon de stade 4 à la suite de son exposition à l’amiante. Il était déjà trop tard au moment du diagnostic. On ne pouvait plus rien pour lui. Nos vies ont changé à jamais. Nous espérions un miracle et avons été désemparés après l’échec du premier traitement de chimiothérapie, ce qui a altéré son état d’esprit. Comme nous avons senti que nous le perdions, nous avons veillé à ce qu’il soit chaque jour confortable. Quand les spécialistes et les médecins se sont finalement prononcés et ont dit qu’il ne lui restait qu’environ trois semaines à vivre, nous l’avons ramené à la maison pour prendre soin de lui personnellement, et il a survécu trois mois et demi.
Il me disait toujours que je devais me relaxer davantage. Tu travailles trop, disait-il! Moi, je croyais marcher dans ses pas, mais tout a changé lorsqu’il a été diagnostiqué. J’ai moins travaillé, voire pas du tout; je suis devenue sa soignante aux côtés de ma mère, car il était alité. Je dormais à peine six heures d’affilée, sans compter les interruptions nocturnes pour répondre à ses besoins. Malgré nos meilleurs efforts, il a succombé à sa maladie.
Il est vrai que pour certains, mon père a vécu une assez longue vie, plus longue que d’autres, mais elle a été raccourcie. Voir un être cher dépérir de la sorte était inacceptable, surtout que cela aurait pu être évité. Cela aurait dû être évité. Nous nous sommes sentis démunis, en détresse, en colère et perdus. Il avait 74 ans et à la veille de la retraite. Il avait de grands plans. Il planifiait déjà son 50e anniversaire de mariage deux ans à l’avance, et ça devait être toute une célébration. Lorsque ce jour est arrivé, cela a été terrible pour nous, tout comme pour son anniversaire de naissance, Noël et le Nouvel An. Il avait hâte de voir ses petits-fils obtenir leur diplôme de l’école secondaire, de l’université, et de les voir se marier.
Les gens à Fil de Vie ont été tellement gentils et attentifs. Les membres familiaux sont compréhensifs et nous ont donné de l’espoir; ils nous ont fait sentir que nous nous en sortirions. Le fait de rencontrer des gens ayant vécu des circonstances semblables à la suite d’un accident, d’une blessure ou d’une maladie résultant du travail a été bienfaiteur.
Que mon père soit mort d’une maladie professionnelle causée par l’amiante est tragique. Cela nous rappelle que la sécurité au travail est une priorité et que personne ne doit risquer sa vie au profit d’une organisation.
Le récit sur mon père, mon mentor, n’est pas inhabituel. Bien des travailleurs ont connu la même fin que mon père et, par conséquent, bien des familles ont vécu un deuil. Voilà pourquoi le travail d’organismes comme Fil de Vie est crucial. Prenez quelques instants en lisant ces lignes pour honorer non seulement la mémoire de mon père, mais aussi celles d’autres vies perdues à la suite de blessures ou de maladies professionnelles. Travaillons ensemble pour que chaque travailleur revienne chez soi sain et sauf.