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Ryan Durling, 21

Jeune homme aux cheveux bruns ébouriffés et au t-shirt gris devant des photos de familles.

Ryan était le benjamin de trois enfants et il aimait tendrement sa fratrie. Peu d’années en âge le séparaient de Mitchell, son frère. Jeunes, ils étaient inséparables. L’été, ils s’amusaient toujours à chercher des trous de boue avec leurs quatre-roues. L’hiver, ils chassaient les lièvres ensemble. Ryan avait aussi une nièce, Nora, et un neveu, Keith, les enfants de sa sœur, Justine. Même si Keith n’avait que trois ans à la mort de Ryan, il parle encore de lui et les larmes lui montent aux yeux chaque fois. Nora ne se souvient pas de lui; elle n’avait que neuf mois à ce moment-là. Ryan était un gars de famille. Il aimait les sorties et aventures de groupe, et les repas et réunions familiales. Son frère et lui aimaient lutter avec leur père, Allan, et ils gagnaient toujours.

Même si Ryan aimait faire des pauses, il se tenait occupé. Il était impliqué dans les 4H, mais à vrai dire, c’était pour faire partie de l’équipe de souque à la corde. Il allait au gymnase du coin et faisait du taekwondo. Il avait obtenu sa ceinture noire en avril 2018. C’est son oncle Greg qui lui enseignait le taekwondo. Avec son oncle Trevor, il apprenait la guitare. Il s’impliquait aussi dans les Jeux olympiques spéciaux. Ryan avait de la chance, car il a eu de merveilleux mentors en grandissant et je leur en serai toujours reconnaissante. Au moment de sa mort, il avait aussi une petite amie qu’il aimait beaucoup.

Ryan adorait rire. Il racontait continuellement des blagues, disait des drôleries et trouvait toujours des mèmes comiques sur l’Internet. À Noël, lorsqu’il emballait des cadeaux pour son frère et son beau-frère, l’emballage était à peu près impossible à déballer. Si c’était une caisse de bière, il l’enrobait de mousse en jet qui durcissait et en extirper une bière posait un réel défi. Tous les garçons dans la famille faisaient ce genre de chose. C’était comme une tradition familiale. Son rire était contagieux et son sourire, inoubliable, tant il illuminait une pièce. Ils nous arrivaient souvent de nous asseoir en famille autour de l’îlot de cuisine pour parler. Je me souviens que j’étudiais ses yeux verts et son joli nez en songeant à quel point il était beau et j’étais chanceuse d’avoir une famille aussi merveilleuse que la mienne.

Ryan a reçu son diplôme secondaire et a suivi le programme Achieve au NSCC. Il a commencé à travailler tout de suite après. Il occupait trois postes à temps partiel en même temps. Il travaillait à la Allan’s Mill où il emballait les tontes, au magasin de la Co-op Country comme caissier et entreposeur de nourriture, et à la EFR Waste Removal, où il aidait au nettoyage semestriel. Ce dernier emploi était temporaire, et ses deux autres employeurs acceptaient qu’il l’occupe. Il avait travaillé pour cette entreprise à l’automne précédent, mais la tragédie est arrivée au printemps. Il est mort le 10 mai 2018. Il en était presque à la toute fin de sa période de travail avec eux, et le jour de son accident fatal, l’équipe avait presque terminée sa journée de travail.

Quand je repense à ce jour-là, les détails me reviennent très clairement à l’esprit. C’était l’un des derniers jours d’enlèvement des déchets de Ryan lorsqu’il est parti travailler ce matin-là. C’est la dernière fois que je l’ai vu vivant. Il avait 21 ans lorsqu’il nous a quittés pour toujours.

Je n’oublierai jamais l’appel téléphonique que j’ai reçu ce jour-là. Je revenais du travail et j’ai dû garer ma voiture pour prendre un appel de ma mère. Nous avons discuté du fait que nous n’avions pas de médecin de famille et un autre appel est entré pendant que je lui parlais. J’ai vu « numéro privé ». J’ai dit à ma mère que je devais raccrocher, car c’était peut-être les nouvelles que nous attendions au sujet du médecin de famille, puis j’ai répondu à l’autre appel. C’était une infirmière et elle m’a dit que Ryan avait subi un accident au travail. Quand je lui ai demandé s’il allait bien, l’infirmière m’a simplement indiqué d’aller à l’hôpital. J’ai rapidement appelé notre famille pour dire où j’allais. Ça défilait à toute vitesse dans ma tête. J’ai pensé qu’il avait peut-être été happé par une auto en procédant au nettoyage.

Le frère de Ryan, sa sœur et son père m’ont rejoint à l’hôpital. Je n’oublierai jamais le moment où l’infirmière nous a accueillis à la porte et menés dans un long corridor. Ce n’est qu’une fois assis qu’elle nous a dit que Ryan avait eu un accident du travail, et qu’il était mort peu de temps après son arrivée à l’hôpital. Nous étions tous bouleversés. Nous avons demandé ce qui s’était passé. Selon l’équipe médicale, il aurait accédé à la porte d’accès du compacteur en voulant aller uriner, aurait trébuché, puis accidentellement activé l’interrupteur du compacteur qui l’aurait écrasé à l’intérieur. C’est bien connu que les travailleurs urinent derrière les camions quand ils travaillent en secteurs résidentiels où il n’y a pas de toilettes.

Le ministère du Travail de la Nouvelle-Écosse a tout de suite donné un ordre d’arrêt du camion pour l’inspecter. L’enquête a alors débuté. Dans les jours et semaines qui ont suivi la mort de Ryan, nos questions s’accumulaient. L’enquêteur a indiqué au père de Ryan qu’il faudrait peut-être des années pour savoir ce qui s’était passé. Il a fallu du temps pour obtenir des réponses. Les conclusions de l’enquêteur ont révélé que ce jour-là, Ryan a trébuché pendant qu’il était dans le camion et qu’il a en quelque sorte activé le commutateur du compacteur. La porte d’accès ne pouvait pas être verrouillée et il n’y avait aucun moyen physique pour prévenir la mise en marche. L’entreprise avait omis d’y veiller et de mettre en place des moyens avant l’événement.

EFR et le Royal Environmental Group ont reçu trois poursuites pour avoir omis de sécuriser la porte et d’en prévenir l’accès aux travailleurs non autorisés, et pour avoir omis d’installer un dispositif de verrouillage pour qu’en cas d’accident, le compacteur s’arrête. Nous avons été choqués d’apprendre que le camion utilisé ce jour-là avait déjà servi en Ontario et qu’à ce moment un verrou était apposé sur la porte d’accès.

Cette tragédie aurait sûrement pu être prévenue. Il m’arrive parfois de penser qu’on devrait en savoir plus sur la santé et la sécurité au travail dès notre jeunesse. Ça devrait commencer à l’école pour sensibiliser les gens dès leur jeune âge aux menaces auxquels ils pourraient faire face au travail et, plus important encore, pour qu’ils parlent à quelqu’un quand, selon eux, il y a un danger. Bien des travailleurs comme Ryan ne font que donner suite à ce qu’on leur dit ou à ce qu’ils voient dans la pratique, que ce soit sécuritaire ou non. Ils doivent savoir que s’ils soulèvent un problème, il doit y avoir un suivi, et qu’ils ne doivent pas avoir peur des répercussions après avoir rempli un rapport en leur propre nom et comme collègue de travail.

En fin de compte, les entreprises ont reçu des amendes et des surtaxes de 57 500 $, et ont dû défrayer 50 000 $ pour mettre en place des programmes éducatifs pour sensibiliser sur la santé et la sécurité au travail.

Et quand est-il de nous? Que nous reste-t-il? Notre famille est maintenant en pièces et nous n’avons pu la recoller. Plus rien n’est pareil et ne le sera plus. On ne peut pas simplement « aller de l’avant » après la mort d’un enfant. Il arrive que la douleur que je ressens s’apparente à une plaie ouverte qui ne guérira jamais. Nous mangeons une pizza à l’anniversaire de Ryan, parce que c’était son mets préféré et nous échangeons souvent des souvenirs de lui. C’est maintenant tout ce qui nous reste.