Récit d’amour filial et de grande perte
par Emily Stoneman
Papa : quelqu’un qui aime, soutien, guide, encourage et inspire son enfant. Mon père, c’était tout ça, et bien plus. Il n’était pas seulement un parent, mais mon phare, ma force et mon soutien indéfectible. Il n’a jamais manqué les moments qui ont jalonné ma vie. Il m’a félicité quand j’ai été admise à l’université et lorsque quatre ans plus tard j’ai été admise à la maîtrise. Il était dans la foule à chaque remise de diplôme et célébrait avec moi chaque anniversaire. Il m’a accompagné durant les grands moments et m’a réconforté quand c’était nécessaire.

Il s’appelait Bryn Stoneman. C’était un gars ordinaire avec une présence extraordinaire. On ne le remarquait pas nécessairement dans une foule, à moins de voir les tatouages sur ses bras, ce qui en disait long sur sa vie. Il aimait les chiens, le camping, la pêche, la randonnée, bricoler les véhicules dénichés sur Marketplace de Facebook ou sur Kijiji, et passer des heures dans son garage. C’était un homme de famille, le genre qui lâchait tout pour aller aider quelqu’un qu’il aimait. Je l’appelais souvent le jour et le soir pour lui dire : « Papa, mon auto fait des bruits bizarres », et il décrochait toujours et offrait son aide. Il aimait profondément et dormait encore plus profondément. S’il ne répondait pas, c’est qu’il s’était endormi sur le sofa en écoutant l’une de ses émissions préférées. Mon père aimait l’aventure. Il rêvait d’aller s’installer sur la côte est pour y vivre près de l’océan avec son meilleur ami, son chien Lemmy. Mon père aimait aussi passer du temps en montagne et voyager là où il pouvait s’allonger sur une plage pendant des heures. Après son décès, j’ai reçu des messages pendant des semaines de la part de ses amis sur Facebook. Ils avaient tous des histoires à raconter et disaient combien ils l’aimaient. Ils parlaient pour la plupart de son altruisme quand ils avaient besoin de lui.
J’ai reçu l’appel fatal un lundi matin. Avec mon fiancé et actuel mari, je déballais des boîtes dans la maison où nous venions d’emménager trois jours plus tôt avec l’aide de papa. C’est ma grand-mère qui m’a appelé pour me dire qu’il avait eu un accident au travail. Elle a suggéré que Justin me mène à l’hôpital à une heure de route de chez moi, mais je suis partie seule sur un coup de tête. Je connaissais bien le chemin menant à la ville, mais il m’a paru interminable. Plein d’idées me traversaient l’esprit. Je ne savais pas ce qu’était un « accident du travail ». Était-il blessé? Avait-il une jambe cassée? Le dos cassé? Je ne l’imaginais pas mort, ça, c’était tout simplement impossible. Je me souviens avoir pensé que j’entrerais dans sa chambre d’hôpital, que je le trouverais alité et que je lui dirais en blaguant : « Ils m’ont fait venir ici pour une jambe cassée? ».
J’avais malheureusement tort. Je me suis garée et me suis rendue à l’entrée de l’hôpital où ma famille m’a accueillie en larmes. Je les ai salués et me suis assise sur un banc. Quand j’ai demandé où il était, on m’a répondu qu’il n’était pas là. C’est là précisément que mon monde a chaviré. Qu’est-ce qu’ils voulaient dire par « pas là »? Où était-il? C’est là que j’ai compris. Il n’était jamais arrivé à l’hôpital, car il n’était plus en vie. Il était mort sur le coup dans un accident du travail. J’ai immédiatement appelé ma mère et Justin et je leur ai annoncé en pleurant que papa était mort. Je me revois ce jour-là. Ils ont dû voir combien mon désespoir était profond en entendant mes sanglots répétés. « Il est mort, mon père est mort. »
Mon père a occupé plusieurs emplois durant sa vie, mais il a surtout aimé être camionneur. Durant la COVID-19, il a eu de la difficulté à se trouver un emploi de camionneur, car tout était arrêté. Il a eu la chance d’être embauché par une entreprise où il avait travaillé dans le passé. Elle allait fermer et mon père devait aider au démantèlement de son usine.

Comme il cherchait désespérément à travailler, c’est avec joie qu’il a accepté l’emploi. Il y travaillait avec son frère. Le 17 août 2020, on leur a demandé d’enlever des supports de tuyaux à air et des cheminées de ventilation sur le toit. Ils n’avaient pas de matériel de sécurité. En marchant sur le toit, papa s’est enfoncé dans un puits de lumière caché par la rouille et il a fait une chute de près de huit mètres. Il est mort sous les yeux de son frère qui a tenté des mesures de RCR durant 15 minutes, mais il était trop tard. L’entreprise a été accusée d’incapacité à assurer la protection en cas de chute.
Je n’avais que 26 ans lorsque j’ai perdu mon père. J’ai grandi en pensant qu’il serait fièrement à mes côtés au cours des moments les plus importants de mon existence. Je n’ai jamais pu l’appeler pour lui annoncer que j’étais fiancée et l’entendre me féliciter. Mon père aurait dû être celui qui m’aurait conduit à l’autel à mon mariage avec l’amour de ma vie, vêtu d’un habit me rappelant à quel point il m’aimait. J’aurais pu voir ses yeux s’illuminer de joie et de fierté, là, assis au premier rang et en me regardant me marier, moi, sa fille unique, mais j’avais pour seule réalité qu’une photo de lui mise sur un siège, là où il aurait dû se trouver. Les jalons ne sont plus les mêmes depuis qu’il n’est plus là. La célébration de ce qui apporte de la joie, comme les anniversaires, la réussite de mon examen de certification, l’achat de ma nouvelle voiture et l’obtention d’un nouveau travail n’a plus la même saveur sans lui.
Ce ne sont pas que les jalons du passé qui font défaut, mais ceux du futur, les miens et les siens, ceux auxquels j’ai présumé qu’il serait présent, des jalons qui pèsent maintenant lourd sur mon cœur. Il ne tiendra jamais ses petits-enfants dans ses bras, ne leur parlera pas de son enfance. Il ne les verra ni grandir et connaître du succès. Il ne réalisera jamais son rêve d’aller sur la côte est. Il ne célébrera jamais sa retraite et n’accomplira pas ses rêves les plus fous. Il n’a pas atteint ses 50 ans et ne célébrera plus aucun anniversaire de naissance. Je vois son absence dans chaque jalon, chaque succès et chaque moment de joie que je vis.
Au fil des années, j’ai songé à diverses façons d’honorer sa mémoire le 17 août. Il m’arrive parfois de visiter son lieu préféré ou de faire une activité que nous aimions tous les deux. À d’autres moments, je me retrouve en famille et avec des amis pour partager des histoires et me remémorer sa vie et son impact sur nous tous. Chaque année, à l’approche de la date anniversaire, je songe aux souvenirs partagés avec lui et aux moments que nous ne vivrons pas ensemble, aux jalons qui passent d’année en année. Je l’entends rire, nous conseiller et nous aimer de manière inconditionnelle. Ce jour-là, je ressens la douleur de son absence, mais aussi la gratitude du temps partagé.
Le chagrin est là pour de bon et on apprend à vivre avec. Le 17 août a une saveur bien particulière. C’était un jour normal au milieu de l’été et, là, il me rappellera à jamais la mort de mon père, le jour où ma vie a changé pour toujours. Cette date porte son lot de chagrin, de nostalgie et de réflexion. Les anniversaires de décès sont remplis d’émotions; certains les vivent avec beaucoup de chagrin, d’autres célèbrent la vie de leurs êtres chers. Le quatrième anniversaire de son décès vient récemment de passer et j’ai appris une chose : il n’y a pas de mauvaises façons de célébrer. Il faut s’en remettre à l’inspiration du moment et se donner la permission d’avoir du chagrin, de se souvenir et de guérir à sa façon. Ce qui compte, c’est de souligner ce jour de manière significative, de manière réconfortante pour soi.
Mon père méritait mieux. Au travail, il n’était qu’un simple employé comme tant d’autres, et ils finiront par l’oublier avec le temps, mais à moi il me manquera pour le reste de ma vie. Si j’avais un dernier message à vous livrer en finissant, c’est de ne jamais accepter un travail non sécuritaire. Votre vie vaut mieux que cela.