Mon meilleur ami, mon mentor, mon héros : Ross raconté

Par Dylan Angus
Mon père, Ross Angus, est décédé à 48 ans. Il est mort au travail pendant les préparatifs d’inspection d’un ascenseur.
C’était un homme extraordinaire. Il a grandi dans une famille relativement pauvre, et tout ce qu’il avait, il l’obtenait à la sueur de son front. Il se dévouait pour moi, ma sœur et mon demi-frère. Il était formidable avec Danna, ma grand-mère. C’était un ami loyal, le plus loyal qui soit. Il aurait laissé en plan tout ce qu’il faisait pour aider un ami dans le besoin. Il était aussi coach de hockey et de football depuis 25 ans. Il était bien connu et respecté; un pilier dans sa communauté. Il se souciait de la sécurité. Il a inventé des vêtements protecteurs pour joueurs de hockey après avoir vu un jeune quasi mourir au jeu lorsqu’un patin lui a sectionné une artère. Il était mâle dans son approche et les jeunes hommes le prenaient en exemple, moi y compris. C’était mon meilleur ami, mon mentor, mon héros.
C’est pendant que je me trouvais à l’école quand les choses ont basculé. J’étais en classe et mon professeur a été appelé à l’interphone. Il m’a demandé de rassembler mes choses et de me rendre au bureau, car je devais retourner à la maison. Comme j’étais du genre turbulent, j’ai pensé que j’étais dans le pétrin. J’ai même enfoui quelques objets illicites dans mon casier. Je suis allé au bureau du principal. Je pouvais entendre ma mère et ma sœur pleurer. Je me suis immédiatement demandé ce que j’avais fait de mal pour provoquer une telle réaction?
Je ne voulais pas vivre dans un monde sans mon père.
J’ai compris que je m’étais trompé en passant le pas de la porte. Ma mère m’a regardé et m’a dit : « Dylan, quelque chose d’horrible s’est produit. Ton père est mort au travail aujourd’hui. » C’est tout mon monde qui s’est écroulé. Je n’en croyais pas mes oreilles. Je voulais m’enfuir dans les champs autour de l’école. Je ne voulais pas vivre dans un monde sans mon père. Il devait venir me chercher à l’école ce jour-là. Nous allions chercher mon permis de conduire ensemble. Mon club de hockey devait participer aux séries. Je croyais rêver.
Mon père avait subi un terrible accident. Je ne comprends toujours pas ce qui lui est arrivé. Ça ne fait aucun sens. Il procédait à l’ajustement d’un ascenseur (il était le technicien le plus expérimenté et le mieux payé). Il avait 30 ans d’expérience dans le domaine. Il connaissait tout sur les ascenseurs. Il était aussi connu pour être « très ferme » auprès de ses collègues sur la sécurité.
Ce jour-là, son apprenti et lui préparaient un ascenseur en vue d’une inspection. Mon père était en retard (ce qui ne lui ressemblait pas) et lorsque l’apprenti a tenté de le joindre, il n’a pas pu (il y avait une panne généralisée de BBM/Blackberry), alors il a décidé d’aller à l’ascenseur et de l’amener au niveau de la salle des machines pour veiller aux préparatifs. Mon père est arrivé 45 secondes après (je le sais, car j’ai visionné les vidéos de l’enquête du coroner) et il a traversé l’entrée jusqu’à l’ascenseur. La veille, mon père avait positionné la cage de l’ascenseur de manière que le dessus de la cage se situe au niveau du sol. Il a inséré une clé lunaire dans la porte (un type de clé que les techniciens ont sur eux pour ouvrir manuellement les portes) et il a tenté de l’ouvrir. Ce faisant, des poseurs de placoplâtre qui se trouvaient au fond du corridor se querellaient et faisaient beaucoup de bruit, ce qui a distrait mon père l’espace d’un moment. Il a omis de respecter la règle du six pouces (un technicien cesse alors d’ouvrir les portes et utilise une lampe de poche pour vérifier que l’ascenseur est là) et il s’est engagé plus avant en pensant que l’ascenseur était là. C’est alors qu’il a fait une chute de quatre étages. Il en est mort. Son apprenti et l’inspecteur de l’Office des normes techniques et de la sécurité (ONTS) l’ont trouvé là environ une heure plus tard.
L’enquête du coroner a émis des recommandations pour rendre l’industrie plus sécuritaire. Dans les faits, il a fallu malheureusement dix ans pour les inclure dans le code. Personne n’a été blâmé dans cet accident. En fin de compte, mon père a omis de suivre une règle très importante, ce qui l’a conduit à sa mort. Comme il avait toujours beaucoup de choses en plan, je ne peux qu’imaginer qu’il a été distrait ce jour-là. Si on ajoute à cela le tohu-bohu des poseurs de placoplâtre, c’était assez pour le mener à l’erreur fatale qui lui a coûté la vie.
J’avais 16 ans lorsqu’il est mort. Je ne savais pas ce que cela voulait dire d’être un homme et je me fiais à lui pour me le montrer. Certains disent qu’on doit être l’homme fort aux obsèques de son père. Je l’ai appris à la dure, car à 16 ans je devais être là pour ma famille. Ma sœur n’avait que 13 ans et elle a été dans le déni durant des jours. C’est en voyant notre père dans son cercueil au salon funéraire qu’elle a compris. Je me souviens m’être couché dans le lit de ma sœur le jour où il est mort; je lui ai fait un câlin et je lui ai dit que tout irait bien.
Dix ans plus tard, je compose toujours avec les effets de l’accident. Cela se voit dans mes sautes d’humeur quand je prends conscience que je dois apprendre par moi-même ce qu’il m’aurait appris ou que je compose avec l’anxiété au quotidien. J’en ressens encore profondément les effets dans ma vie. Je ne peux me séparer d’un membre de ma famille sans leur faire d’abord un câlin ou leur dire que je les aime de peur que ce soit notre dernière rencontre. Ma grand-mère a dû enterrer son fils. Elle a une cirrhose; elle a perdu ses cheveux et sa santé mentale se détériore. Elle va mieux maintenant, mais elle ne s’est jamais remise de la perte de son fils.
Peu importe que vous soyez bons ou remplis de confiance en vos capacités, vous n’êtes pas mieux que mon père. La vie est un jeu dangereux et les erreurs peuvent s’avérer fatales. Durant ma carrière dans les as- censeurs, on m’a parlé du défunt Tim DesGroseilliers et de l’implication de CK, sa sœur, au sein de Fil de Vie et de la randonnée Un pas pour la vie au Canada. Je l’ai vu dans une video sur la sécurité faite par TK Elevator. Son récit m’a inspiré et j’ai communiqué avec Fil de Vie pour m’impliquer.
C’est une organisation forte et y faire du bénévolat m’a donné un but. Quiconque a perdu quelqu’un au travail peut bénéficier du soutien de Fil de Vie en participant à la randonnée Un pas pour la vie et en devenant bé- névole au sein de l’organisation pour sensibiliser les gens dans l’espoir que nos efforts puissent sauver des vies. Ainsi, nous n’agissons pas en vain.
Mon message aux gens est le suivant : peu importe que vous soyez bons ou remplis de confiance en vos capacités, vous n’êtes pas mieux que mon père. La vie est un jeu dangereux et les erreurs peuvent s’avérer fatales. Si après 10/20/30 années passées dans votre secteur vous n’avez jamais eu d’accident, demandez-vous : suis-je si bon que ça ou simplement chanceux? Consultez la liste des personnes tuées dans votre secteur. Dans mon milieu (les ascenseurs), ce sont des gars avec plus de 20 ans d’expérience qui sont sur cette liste. L’expérience mène à l’excès de confiance. Posez un regard sur vous-même et interrogez-vous.
Vous trouvez effrayant de crier haro sur un collègue qui fait une chose stupide et dangereuse, spécialement si vous êtes nouveau dans un secteur? Si ça résonne en vous et que vous avez peur de dire à quelqu’un qu’il n’est pas sécuritaire, je vous promets qu’il est bien plus terrifiant d’aller aux obsèques ou à une veillée funèbre et de regarder les gens dans les yeux en leur disant : « je suis désolé pour votre perte ». Vous vous en souviendrez toujours.
Le travail est dangereux? Haussez le ton et refusez héroïquement d’être une statistique.