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Du chagrin même après 40 ans

Les impacts à vie d’une explosion souterraine

par Cathy McNeil

Le 24 février 1979, 16 mineurs sont entrés dans la mine de charbon no 26 de Glace Bay, N.-É., pour commencer leur quart de travail de nuit de 23 h à 7 h. Ils sont descendus à près de 9 km dans le mur sud n° 12, à environ 760 m sous le niveau l’Atlantique. Cette mine était le plus grand producteur de charbon de la région depuis bien des années et appartenait à la Cape Breton Development Corporation, également connue sous le nom de DEVCO.

Vers 4 h 10, un mineur à la surface a ressenti ce qui ressemblait à une explosion dans la mine. Il a immédiatement informé la direction de la mine et, à 4 h 50, l’équipe Draeger (ou de sauvetage) est arrivée à la surface de la mine, suivie de deux médecins et d’un prêtre du coin. Ils sont entrés dans la mine et ont été emmenés sur le site de l’explosion. Les hommes qui travaillaient sur le mur nord savaient que quelque chose n’allait pas. L’air était différent. Ils étaient déjà sur place au mur sud. Malgré les conditions sur le site de l’explosion, ils ont immédiatement commencé les recherches. Les hommes du quart de jour sont aussi allés dans la mine pour faire sortir les mineurs. Ils en ont trouvé 16, tous situés dans la zone générale du mur sud n° 12 de la mine. Dix mineurs ont été tués presque sur le coup, succombant aux effets de l’explosion et des gaz nocifs qui ont rempli la section après l’explosion. Six ont été retrouvés vivants, mais leurs blessures et brûlures étaient graves.

 

George sur le site de l’explosion de la mine de charbon n °26. Il porte une affiche.
George

À 7 h, les six mineurs blessés étaient à la surface de la mine, et prêts à être transportés par ambulance à l’hôpital local. Le plan consistait à les stabiliser, puis à les héliporter à l’hôpital général Victoria, à Halifax, jusqu’à l’unité des grands brûlés. La pluie verglaçante et le brouillard, et les avertissements météorologiques hivernaux ont empêché tout voyage aérien, de sorte que les mineurs ont été transportés par ambulance, à cinq heures de route, dans des conditions routières périlleuses. La mission de sauvetage à la mine n° 26 est devenue un effort de sauvetage. Les corps des dix mineurs tués ont été soigneusement rassemblés et remontés à la surface. À midi, le samedi 24 février 1979, tous les corps avaient été retirés de la mine.

Quatre mineurs ont survécu à l’explosion ce jour-là et sont retournés dans leur famille. Deux sont décédés depuis; il en reste deux dont mon père, George Stubbert. Mon père travaillait dans les mines de charbon depuis qu’il avait 17 ans. C’était un boulot qu’il aimait. Il était également membre de l’équipe de sauvetage Draeger. Il avait participé à de nombreuses compétitions d’équipe Draeger avec ses collègues mineurs. Il a été formé au sauvetage en cas d’accident souterrain ou d’explosion, et il en était très fier.

Le 24 février 1979, papa a quitté la maison pour faire des heures supplémentaires. C’était le dévouement d’un jeune mineur avec une femme et trois jeunes filles à soutenir. J’avais 12 ans et mes sœurs, 11 et 4 ans. Il avait 33 ans. « Le beau George » était son surnom dans la fosse, car il se douchait toujours après le travail et coiffait ses cheveux blonds. Pas question de rentrer à la maison avec des vêtements sales.

Je me souviens du bruit affreux des sirènes hurlant le matin du 24 février. Tout le monde savait ce que cela signifiait : un accident à la mine. Elles ont hurlé toute la journée. C’est un sentiment étrange et à jamais gravé dans ma mémoire. Puis le prêtre s’est pointé à la porte avec d’autres hommes. Ma mère, Hope, était inconsolable. Je me souviens être restée silencieuse à ses côtés quand elle s’est effondrée sur le sol.

On nous a dit très tôt que ses chances de survie étaient minces. Près de 80 % de son corps était brûlé au 3e et 4e degré, il était en état de choc, dans un coma induit, et ses brûlures étaient si graves qu’on ne pouvait le différencier des trois autres mineurs. Ses poumons avaient été gravement endommagés dans l’incendie et la fumée de l’explosion. À son réveil, il nous a interdit de lui rendre visite. Il souhaitait protéger ses filles. Il y aurait plusieurs chirurgies reconstructives, des greffes de peau et des soins de plaies pour faciliter la cicatrisation. Les traitements étaient atroces et pour chaque larme, une infirmière a pleuré à ses côtés — ce dont il se souviendra toujours, et dont il parle souvent. L’équipe médicale du Victoria General Hospital de l’unité des grands brûlés, à Halifax, N.-É., fait partie de sa famille et de ses forces. Les interventions chirurgicales et traitements devaient se poursuivre pendant de nombreuses années.

Quand il est rentré de l’hôpital des mois plus tard, il était un étranger. Il ne ressemblait pas à mon père. Les cicatrices sur son visage et ses mains semblaient douloureuses et le masque de compression et les gants qu’il devait porter étaient effrayants. Le gros appareil sur sa main et ses doigts ressemblait à un truc de torture. Ses interactions étaient minimes et il était très réservé. Je voulais le serrer dans mes bras, lui parler, mais j’avais peur. Il était très mince. J’avais devant moi la coquille de celui qui était mon père.

Ma plus jeune sœur Holly avait quatre ans. Elle n’a pas fait de discrimination; c’était son père. Elle a couru vers lui pour le combler d’affection et d’amour. Elle était trop jeune pour se souvenir de l’avant et de l’après. Elle faisait ouvertement et librement beaucoup de câlins. Elle avait beaucoup de questions, mais vu son jeune âge il était facile de lui répondre en toute sécurité. Cette petite fille a contribué à favoriser la guérison émotionnelle de notre père. Je ne crois pas qu’elle sache, encore aujourd’hui, l’impact qu’a eu son amour et son innocence dans sa guérison.

Regarder mon père lutter était difficile. Il s’est isolé pour ne pas être vu du public. Les gens manquaient d’égards face à quelqu’un de si différent. Mon père avait 33 ans au moment de l’explosion. « Le beau George » voyait maintenant douleur et tristesse dans le miroir. Il se souviendra à jamais de toutes les pertes qu’il a subies. Quand il a décidé qu’il était temps de partager son récit, d’éduquer les gens, d’expliquer ce qui s’était passé et de confronter les regards, nous avons su qu’il revenait vers nous. Son combat se poursuit quotidiennement, jour et nuit, avec des cauchemars et des nuits blanches. Il a reçu un diagnostic de TSPT bien des années après l’explosion. Il n’y avait pas d’aide en 1979; une fois le corps guéri, on était guéri. Les blessures causées par cette explosion étaient bien plus profondes que les blessures physiques. Comme famille, nous avons tous souffert. Il y a chaque jour des défis. Nous savons tous qu’une fois la porte d’entrée franchie, on pourrait ne pas revenir ou la vie pourrait ne jamais être la même. L’irritabilité et l’anxiété, ça s’incruste.

Papa est finalement retourné à la Devco. C’est différent pour lui maintenant. Il a enseigné pendant un temps au Collège universitaire du Cap-Breton pour former les mineurs à la sécurité. Il a beaucoup aimé cela; ça lui a permis de reconnecter avec la société, avec ses pairs. Après cela, il a décidé de retourner à la mine de charbon pour travailler à la surface dans la salle des moniteurs. Sa camaraderie avec ses collègues mineurs a joué un rôle majeur dans son retour à la mine Prince. Il y est resté jusqu’à sa retraite.

Le décès de ma mère en 2010 l’a considérablement attristé. Elle l’a soutenu et a tout traversé avec lui jusqu’à sa mort. Il a souvent dit que lorsqu’il était allongé à l’hôpital après l’explosion, il avait la possibilité de quitter ce monde à tout moment. Il a choisi de se battre, de rester en vie pour sa famille, pour ses enfants, pour élever et protéger « ses filles » et il l’a toujours fait. La douleur et la souffrance qu’il a endurée, on les comprend bien.

Il se fait toujours discret dans la communauté. C’est dur d’être l’un des deux mineurs ayant survécu à un accident aussi tragique. Cette explosion a secoué notre petite communauté de bout en bout et personne n’oubliera jamais ce jour-là. En 2021, le Musée des mineurs a érigé un monument aux 12 mineurs qui ont perdu la vie dans l’explosion de 1979. Des boîtes-repas portent le nom de chaque mineur et une plaque est gravée avec les noms des survivants.

Durant le jour du Souvenir des mineurs en 2022, un service spécial a été organisé pour commémorer ces hommes au musée, et les habitants de Glace Bay et des villes environnantes s’y sont présentés. Les gens étaient debout tant la salle était pleine. Papa n’était pas là même après plusieurs rappels; certaines choses sont difficiles à retenir. Je me suis assise avec d’autres citadins et familles et j’ai écouté « Big Jim MacLellan » raconter l’histoire du 24 février 1979. Jim était le gérant de la mine et de service cette nuit-là. Les citadins ont pleuré ce jour-là comme ils l’ont fait le jour de l’explosion. Il a félicité mon père pour s’être mis en mode Draeger le jour de l’accident, pour s’être levé et avoir fait tout ce qu’il avait été entraîné à faire en sauvetage. Il a parlé de son calme et de sa maîtrise de soi, mais malheureusement l’explosion faisait son chemin vers le bas du mur sud n °12 où il se trouvait.

Papa continue de nous aimer, de nous soutenir et de nous encourager. Nous sommes fières de l’appeler papa. Ce tragique accident a fait de nous les adultes que nous sommes aujourd’hui. Je suis infirmière autorisée et gestionnaire des services cliniques dans un établissement de soins de longue durée. Ma sœur Georgina, celle du milieu, est auxiliaire en soins prolongés et a une formation en santé mentale dans le domaine de l’aide à la vie autonome, et la petite Holly est enseignante et conseillère en orientation au Manitoba. Nous sommes les soignants, les nourriciers, dans nos métiers et nos familles. Nos succès, nous les devons à cet homme fort, solidaire, notre papa, qui n’a jamais baissé les bras pour soi et pour nous.

Le rapport officiel de la Commission d’enquête sur l’explosion dans la mine de charbon no 26, à Glace Bay (N.-É.), le 24 février 1979, a jugé que l’explosion a été probablement causée par « l’étincelle produite par l’action du pic en acier des haveuses […] dans un grès de quartz à inflammation élevée. Les étincelles ont enflammé une poche de méthane libérée par le charbon pendant l’exploitation minière. L’explosion qui a suivi a été amplifiée lorsqu’elle a enflammé la poussière de charbon libérée dans la mine. » Bien qu’il ait été déterminé que l’explosion impliquait de la poussière de charbon, et que les mineurs aient jugé la ventilation et la poussière de roche appliquée sur les surfaces de la mine insuffisantes, l’entreprise n’a pas été tenue responsable. En fait, le Conseil a noté que « les précautions de sécurité générales étaient laxistes, ce qui a permis à l’explosion de se produire, cependant, Devco n’en était pas la seule responsable ». L’entreprise a pu se défendre avec succès contre toute accusation d’acte répréhensible.

Levi Allen, secrétaire-trésorier de la United Mine Workers of America (UMWA), a déclaré : « L’explosion de la mine no 26 a été une tragédie comme Glace Bay n’en avait pas connu depuis plus de 70 ans. C’est une catastrophe minière qui aurait pu être évitée. Une ventilation et une poussière de roche adéquates auraient éliminé les sources d’allumage qui ont mené à cette explosion, mais comme presque tous les autres désastres miniers que nous avons vus, la priorité de la direction était la production plutôt que la sécurité. Qu’un organisme gouvernemental officiel ait reconnu ensuite ces problèmes, tout en exonérant l’entreprise de sa responsabilité, n’a fait qu’ajouter au chagrin et à la douleur de ceux qui restent. Le fait que 40 ans se soient écoulés n’atténue pas ce chagrin. »